« En hommage pour les trente ans de la disparition d’Aoki Yuko Daïsojo »
Le sourire du visage d’une statue du Bouddha Sakyamuni exprime la sérénité, le fruit de sa profonde sagesse. Dans sa jeunesse, il a vu que tout les hommes subissent la vieillesse, la maladie, la mort. Il en a conclu qu’il est vain de vouloir rechercher un bonheur durable dans ce monde. Alors, il a laissé son royaume, sa femme, son enfant pour se retirer dans la forêt. Il a fait des ascèses sévères, il a pu méditer, et se libérer de la souffrance. Qu’a-t-il découvert ? L’unité de l’univers.
« Daïnitchi-nyoraï est dans les trois mondes éternels du Dharmadhatu. Il est partout dans toutes les directions, dans les êtres ordinaires et les saints. Nous-mêmes et les autres sommes identiques. Daïnitchi-nyoraï, c’est le véritable esprit de l’univers, comme un lotus blanc et pur. Il ne s’oppose à rien, la matière et l’esprit sont un, c’est un corps sacré ». (Écrit d’Aoki Yuko Daïsojo)
Le culte de la présence du Bouddha Daïnitchi
Selon ce que nous sommes, le même lieu peut-être vu par les uns comme un merveilleux paradis et par les autres comme un enfer. Un jour, j’ai été invité dans un restaurant japonais où on nous a apporté sur la table des crevettes vivantes dans un saladier. Puis, elles ont été recouvertes de saké, les pauvres crevettes souffraient beaucoup et sautaient partout sous le couvercle et les serveuses trouvaient cela normal. Moi, cela m’a fait de la peine et j’ai mis ma main au dessus du saladier en priant avec komyô-shingon pour aider les crevettes à mourir et à renaitre au paradis. Après, personne n’a mangé les crevettes et j’ai gâché le plaisir des autres convives en transformant le repas en cérémonie pour les morts, mais je pense que j’ai eu raison. Voir souffrir un être sans rien faire pour l’aider n’est pas une attitude juste si on est bouddhiste. J’avais l’impression d’être un bodhisattva venu aider les crevettes dans l’enfer de ce restaurant. Peut être qu’elles ont vu quelques jolies lumières descendre sur elles juste avant de mourir ? Comment pouvais-je rester indifférent ? Le Bouddha Daïnitchi représente la vie de l’univers et le prier revient à s’harmoniser avec la vie de toutes les créatures et les plantes. Je crois que c’était un test envoyé par le monde des Bouddhas pour savoir si j’avais vraiment de la compassion et le sens de l’unité de la vie. En France aussi, il y a des recettes cruelles qui font souffrir les animaux, par exemple les truites au bleu, mais quand même on ne les jette pas vivantes dans l’eau bouillante sur la table où on mange ! Si nous pratiquons du fond du cœur le bouddhisme, nous comprenons que le vrai Bouddha ce n’est pas seulement des belles statues aux formes humaines mais la force de vie de l’univers qui s’exprime partout et dans chaque vie de l’univers visible et invisible. Les dix règles de vie éthique du bouddhisme (Juzenkaï) nous enseignent à respecter les autres vies et la compassion du bouddhisme ne doit pas se limiter aux humains mais se manifester concrètement par une attitude sociale écologiste. En hiver, je nourris les oiseaux et si je suis obligé de placer des pièges dans le temple pour attraper les souris qui viennent manger les offrandes, après je vais très loin à pied en répétant des mantras pour leur évolution avant de les libérer dans la forêt. C’est ainsi que je fais des offrandes à Daïnitchi nyoraï dans la nature et mon cœur se purifie de tout le mauvais karma accumulé quand j’étais un gamin inconscient et que je tuais parfois des animaux. L’univers est bon et intelligent car il a produit la vie, il faut garder la foi dans sa sagesse même quand la souffrance nous touche à cause des guerres, des tremblements de terre, des tsunamis etc. Quand nous prenons refuge dans les trois joyaux, le Bouddha, le dharma, la sangha, nous nous relions dans la vacuité aussi à cette intelligence globale qui s’exprime partout dans la nature. Les plantes sont à l’origine de la vie, leur influence apaise et adoucit par la beauté des fleurs. Les animaux sont des êtres sensibles qui possèdent dans leur cœur la même étincelle de vie que nous, ils s’aiment, se disputent entre eux pour un bout de territoire et comme nous, ils s’occupent avec tendresse de leurs petits. La force de vie de la nature s’exprime bien mieux en eux qu’en nous qui sommes devenus trop fiers et intellectuels, nous avons perdu notre sensibilité et nos racines avec la vie. Si nous voulons devenir meilleurs et fusionner par le cœur avec le Bouddha, il faut respecter la mère nature et lui rendre grâce de tout ce qu’elle nous donne et s’émerveiller constamment de sa beauté. Si on s’éloigne des écrans des ordinateurs et qu’on calme son esprit, il peut devenir sensible et ressentir la vie d’une forêt, la force d’une roche, l’histoire d’un vieil arbre. C’est ainsi qu’on fusionne par le cœur avec la grande force de l’univers et qu’on se régénère. Tant que nous croyons être forts et indépendants par le seul développement de l’intelligence nous n’avons encore rien compris à la vie.
Développer le sentiment de reconnaissance
On remarque un fait inattendu qui arrive dans sa vie, mais parfois la journée peut se dérouler de manière ordinaire, voire ennuyeuse. Tout s’est bien passé, on a pris le train et il est arrivé à l’heure. Ce fait est tellement banal qu’il ne parait pas justifier une pensée de reconnaissance ou de joie. C’est parce qu’on ne sait pas évaluer les efforts des autres, ni reconnaître les bienfaits reçus. Préparez un bon repas ou assurer aux voyageurs un voyage agréable en sécurité, cela demande des efforts ! Bien manger, on pense que c’est normal, mais si on réfléchit bien, ça l’est pas tant que cela : tellement de gens dans le monde ont faim et n’ont même pas d’eau potable pour élever leurs enfants et les garder en bonne santé. Se réjouir et être heureux dans la vie quotidienne, c’est prendre l’habitude de voir le côté précieux des mille petites choses que nous utilisons couramment sans en être conscients et qui nous manqueraient cruellement si on ne les avait pas. Quelqu’un a dit : « Je ne savais pas que j’étais heureux jusqu’au jour ou le bonheur m’a quitté». Parfois, perdre quelque chose, la santé, un objet, quelqu’un, peut être utile pour nous montrer combien la vie est précieuse. Le bonheur vient quand on sait apprécier ce qu’on a. Le philosophe allemand Schopenhauer, (1788-1860) dans son traité sur le bonheur conseille de : « Voir ce qu’on possède avec le regard qu’on aurait si cela nous était arraché ». La reconnaissance, c’est d’abord prendre conscience de toute la chaine de ceux qui, jour après jour, contribuent, dans l’anonymat ou non, à notre bonheur. Puis, il faut ensuite leur témoigner une pensée de respect et d’affection. Prendre le temps de penser à ce qu’ils nous ont permis de recevoir comme si c’était un cadeau devient une occasion de nous réjouir à nouveau. Le désir de vouloir transmettre à notre tour un peu de notre bonheur ne fait que l’amplifier comme la lumière d’une lampe allume une autre lumière sans rien perdre de sa force. Une pensée d’affection ou de compassion renforce les liens dans notre famille et elle agrandit nos connexions avec toute l’humanité en éveillant la joie en soi et loin autour de soi. A la fin des rituels du bouddhisme, on fait la dédicace des mérites en souhaitant le bonheur et la paix dans le monde entier : c’est le même principe, la force de la dédicace ne fait qu’amplifier les bienfaits de la compassion. Je porte avec plaisir une vieille veste fabriquée en Chine et souvent je me demande, « A quoi ressemble l’ouvrière qui l’a fabriqué ? Est-ce que son salaire lui permet de vivre décemment ? ». Je répète alors quelques mantras pour aider tous ceux qui sont exploités dans le monde. Penser au bonheur des autres agrandit notre monde intérieur et nous fait respirer de la lumière qui développe notre générosité, cette ouverture du coeur nous rend solidaire les uns avec les autres et nous fait participer à l’activité de tout les humains et cela nous rend heureux. L’amitié, c’est ce qui nous rends heureux parce que le cœur s’ouvre tandis que ce qui rend malheureux, c’est de se replier sur soi et de ruminer les milliers de bonnes raisons qu’on a d’être mécontent. Etre heureux, c’est un art de vivre, il suffit de vouloir l’apprendre et de l’appliquer par son attitude journalière. Le philosophe français Montaigne (1402-1478) dit : « Je m’efforce de ne pas penser à ce qui me fâche, de ne pas ruminer des soucis mais de me réjouir des menus plaisirs de la vie». « La joie fait venir le bonheur. Une journée sans problème, c’est déjà le grand bonheur.» disait souvent Matsumoto Kancho et dans son livre « Avec le Bouddha ». La joie entretient l’exaltation de notre cœur qui vibre comme un instrument de musique à l’unisson avec Dieu ou Bouddha, la source de toutes les qualités et de tous les bonheurs. Quand nous vivons, nous ne sommes pas conscient de notre cœur qui bat, ni de notre estomac qui digère et pourtant c’est très important. De même pour vivre au niveau de l’esprit, il faut entretenir un sentiment de joie dans le centre de notre être, le cœur, qui permet à nos corps spirituels de respirer. Dans les pratiques du Bouddhisme Shingon, on prie le bodhisattva Vajrasattva qui fait descendre sur notre tête son eau de sagesse et d’amour et elle se répand en nous. Cette eau purifie nos pensées et nos sentiments négatifs, elle nous donne confiance dans l’avenir parce que nous nous sentons guidés par une intuition juste, cela apaise nos doutes et donc renforce aussi notre santé. Notre joie intérieure est ressentie par notre environnement et nous attirons vers nous des êtres positifs ou ceux qui ont besoin d’être aidé. Le sentiment de reconnaissance, nous a fait sortir de notre petite coquille égoïste, on remercie alors les quatre bienfaiteurs selon les enseignements de Kôbô daïshi,(774-835) le fondateur du Shingon: « Merci les Bouddhas, merci mes parents, merci mes maitres, merci le pays qui me permet de vivre. Merci de vous manifester dans ma vie pour que je puisse servir tous les êtres ». Plus nous incluons des êtres dans notre cœur, même ceux qui nous ont fait du mal, plus nous nous libérons de nos limitations egocentriques et l’esprit peut s’étendre dans la vacuité. La paix intérieure qui en résulte nous permet d’être plus disponibles pour servir le monde entier et notre esprit n’en devient que plus vaste et lumineux.
Les poisons de l’esprit
Le bonheur ou le malheur ne viennent pas par hasard, c’est le résultat de nos habitudes d’être et de penser. Beaucoup de gens font eux même leur propre malheur en ressassant le négatif, parfois ils cherchent à nuire pour se venger ou pour compenser leurs frustrations. Même les taquineries entre amis sont un signe de colère refoulée parce qu’une situation n’est pas contrôlée comme on le voudrait. La tension due à l’insatisfaction se libère sur des personnes proches ou plus faibles. Quand on ne se connaît pas soi même, comment peut-on espérer pouvoir un jour se contrôler ? Toutes ces paroles futiles ou méchantes créent à la longue un climat de mécontentement, puis de la disharmonie et après les gens se plaignent que rien ne fonctionne ou que la vie est injuste avec eux ! On ne peut espérer être heureux si on crée de la disharmonie. Ne pas nuire aux autres, en respectant les dix règles de vie bouddhiste, c’est le minimum qu’on puisse faire pour son propre bonheur. Mon maître Aoki Yuko senseï insistait beaucoup dans son enseignement sur l’importance d’éviter les poisons de l’esprit, la colère, l’avarice, la rancune, la jalousie, etc. Toutes ces réactions viennent de notre cerveau archaïque qui fait des comparaisons entre soi et les autres et ressent une insatisfaction ou de la peur. Le but d’une émotion négative est de protéger celui qui la ressent mais le résultat obtenu est mauvais car elle provoque le repli sur soi et du coup le champ de vision se réduit. La peur ou le ressentiment nous font oublier notre lien avec le Bouddha et nous coupent de la force de vie de l’univers. Si nous gardons notre vœux de Bodaïshin, être toujours bienveillant, et que nous prions avec confiance tout nos problèmes disparaitront avec le temps. Rien ne peut nous nuire si nous refusons de nous laisser angoisser par les soucis du monde.
Surveiller ses pensées
Certaines personnes rayonnent des ondes de bonheur, d’autres c’est le contraire. Cela vient du type de pensées qu’elles entretiennent habituellement dans leur esprit. Selon leur qualité les pensées produisent un rayonnement mental, une lumière qui est décrit intuitivement par la sagesse populaire comme ayant une couleur ou une densité. La tristesse, ce serait en avoir : « Gros sur le cœur et la vie serait vue en bleue ou en gris, ou tout en noir ». La joie au contraire est dorée, jaune, vive, légère on a envie de s’envoler et les pensées d’amour font voir « La vie en rose ». Les pensées sont comme des ondes radios qui en s’accumulant chargent les objets et créent plus tard des influences bonnes ou mauvaises dans une maison. Quand elles s’additionnent, elles produisent des mouvements de foules ou des modes. Toute manifestation concrète dans la vie commence d’abord par de la pensée, bonne ou mauvaise qui manifeste un karma latent en attente d’une opportunité pour se concrétiser. C’est pour cela qu’il est si important de surveiller et de contrôler sans cesse celles qui nous passent par la tête pour éviter de se laisser entrainer à faire des erreurs. Les pensées ne viennent pas que de nous, la télépathie existe ! Les ascètes qui prient beaucoup disent que des mauvaises pensées viennent parfois comme des tentations envoyées par des démons- comme cela a été le cas de Sakyamuni qui a été tenté par Mara. L’atmosphère mentale d’une bibliothèque, d’une salle de sport, d’une discothèque ou d’un temple n’est pas la même et elle nous influence différemment. Nous baignons constamment dans le flux des pensées des autres hommes ; en réagissant avec elles, nous semons à notre tour d’autres pensées. Pour continuer à recevoir les grâces des Bouddhas, il faut effacer les pensées parasites et prendre régulièrement une douche de méditation sur le vide en utilisant le savon des mantras. Même dans la journée on peut faire des micros méditations sur le vide juste en quelques secondes. On peut aussi programmer son portable pour envoyer un signal à intervalle régulier qui signifie : « Stop, prends conscience de toi-même » ! Quand nous connaissons nos points faibles, nous savons ce que nous devons surveiller. La pratique régulière de la méditation donne l’habitude de prendre du recul vis-à-vis de ses pensées et de ses réactions. Au lieu de suivre des enchainements de raisonnements qui ne font qu’ajouter encore à toute la négativité du monde, on les repère aussitôt et on dit : « Tiens une pensée négative ; tiens, une pensée de colère !». Alors on commence à prier jusqu’à ce qu’elles se dissolvent et que la joie revienne. Parfois on ne peut faire autrement que de fréquenter des gens au caractère difficile ; il faut savoir se protéger. De même dans sa vie quotidienne, il faut choisir les liens avec ce qui est positif. Chaque chose émet une onde et nous connecte soit avec ce qui nous élève soit avec ce qui nous nuit. Nous devons prendre conscience de toutes ces influences pour nous en libérer, si non elles nous dominent à notre insu.
Rester Zen !
Un texte du zen dit que : « Suivre la voie consiste à ne pas avoir d’opinions », ceci pour ne pas perturber la paix de son propre esprit et rester fluide, léger. Les vrais religieux ne sont pas des fanatiques de la morale, ils ne condamnent personne et ne cherchent pas à expliquer le monde par des théories comme en science ou en politique, ils apaisent juste les passions de leur cœur et vivent leur quotidien avec amour en louant Dieu ou le Bouddha. Ce n’est pas par hasard qu’ils s’isolent dans les monastères situés souvent aux sommets des montagnes : ils cherchent d’abord à préserver leurs racines vitales pour s’harmoniser avec le Bouddha qui s’exprime dans la vraie vie, pas celle, artificielle, des villes, mais celle de la nature. On raconte que des envoyés de l’empereur de Chine vinrent chercher l’ascète taôiste Tchouangtseu (4°siècle avant JC) pour l’emmener à la cour servir le royaume. Il refusa de les suivre parce selon lui, il n’aurait pas été à sa place là bas, il préférait continuer à vivre dans les marais « comme une tortue qui trempe sa queue dans la boue ». Il vivait au contact de la racine de la vie, connecté avec le sans but et le sans forme. C’est un choix, il s’agit de savoir à quel niveau on veut se développer. Si on veut se montrer par vanité et participer à une vie mondaine, il faut savoir qu’à la longue on ne sera plus invité aux fêtes car on sera considéré comme trop vieux et démodé, tout ce qui vient de l’humain s’use et a une fin. Par contre, si on veut connaître l’absolu, il n’y a pas de limite à un épanouissement qui est inexplicable aux gens ordinaires. Pratiquer la méditation demande du temps et le renoncement à ce qui n’est pas essentiel pour préserver son énergie interne comme le fait cette tortue taoïste.
La joie de vivre d’Aoki senseï
Le vénérable Aoki Yûkô fut un des grands maîtres du Shingon, de l’école du Buzan-ha. Il avait reçu le titre de trésor national vivant du Japon pour la qualité de son Shomyo, le chant liturgique du shingon. Il disparut, il y a 30 ans, en mai 1985, à l’âge de 94 ans. Il dirigea le temple d’Hassédera pendant plus de quarante ans et forma de nombreux maîtres et moines. Il était ami avec Matsumoto Jitsudo kantcho car ils se respectaient mutuellement, il disait que le Kangi-ten de Hôzanji protégeait tout le Shingon. Il a participé avec lui aux cérémonies du Mishuhô qui ont lieu au début de chaque année au Tôji à Kyôto, pour la protection du pays. Il les a dirigés neuf fois en tant que daïgyoji. Il était sollicité par les temples du Busan-ha pour différentes cérémonies, notamment les plus importantes : les Kanjo. En 1984, il représenta l’école du Buzan-ha à Koyasan pour les cérémonies de célébration de la disparition de Kôbô Daïshi. Il m’a fait le grand honneur de m’accepter parmi ses disciples. Je l’ai rencontré à Paris pendant qu’il faisait une cérémonie religieuse de Daï-Hannya avec un groupe de moines pour présenter le Shomyo. Une fois terminé mes études de médecine, je suis allé au Japon pour recevoir, comme moine, l’initiation de shidokegyo, puis ma femme et moi nous avons fait plusieurs longs séjours au Japon dans son temple ‘‘ Entsuji ’’ à Tôkyô et nous avons reçu le Dempo kanjo et l’Itchiryudenju. Il nous a permis de connaître la famille de Tajima Ryujun daïsojo qui avait écrit les deux livres importants en français sur la doctrine Shingon. Aoki senseï rayonnait une grande paix autour de lui, Il disait que son secret pour garder la santé et la force de vivre, c’est de cultiver la joie et le sentiment de reconnaissance. Malgré qu’il soit très âgé, il était toujours plein de dynamisme et prenait le métro de Tôkyô, tout seul. Il témoignait son respect et sa reconnaissance au Bouddha omniprésent dans les objets : quand il sortait d’un train ou d’une voiture il se retournait pour saluer la machine qui l’avait transporté en disant « Merci, c’est précieux ». Il s’émerveillait souvent d’être en vie et de pouvoir ressentir en soi la force de vie de la nature. Il vivait sainement en évitant de boire de l’alcool et était opposé à l’usage du tabac. Sa personnalité s’exprimait à travers les gestes simples de la vie quotidienne qu’il effectuait avec une grande élégance, même quand il désherbait le jardin. Il connaissait bien la nature humaine et il avait un sens de l’observation aigu du comportement des moines qui le faisait craindre pour sa perspicacité. Il ne s’inquiétait de rien, ne critiquait personne, n’était en concurrence pour aucune fonction ni honneur mondain. Sa pratique était une action de grâce permanente et comme il s’abandonnait à la volonté du Bouddha, tout s’organisait spontanément pour le mieux dans sa vie. Il lisait souvent pour lui même un petit texte où il s’émerveillait de la force de vie de l’univers qui s’occupe de tous les animaux avec la même bonté. Son idée centrale était que ce n’est pas nous qui vivons mais que c’est l’univers qui nous fait vivre. Quand j’ai fait l’ascèse de gumonji, il a insisté : « Souvenez vous que ce n’est pas vous qui répétez les mantras, c’est le Bouddha qui fait l’ascèse à votre place ». Même pendant les cérémonies funéraires, alors que tout le monde était triste, il disait que la vie est merveilleuse et précieuse et que l’on doit être reconnaissant à ses parents et aux ancêtres d’être en vie grâce à eux. Il touchait ainsi le cœur de tout le monde par sa dignité, sa bonté, son sens de l’humain, sa modestie, son effacement. Son temple était petit mais il recevait beaucoup de visiteurs car il était aussi apprécié par les moines de tout le Shingon. Son comportement s’adaptait au niveau de chacun : avec les personnages officiels il paraissait sévère mais il recevait les gens simples et les paysans de la région avec gentillesse. Souvent il priait pour la guérison des malades et apparemment il était efficace par la prière car il réussit à guérir son fils malade qui fut paralysé à un moment. C’était un grand personnage, il représentait les anciennes générations de japonais qui vivaient autrefois de manière beaucoup plus ascétiques que maintenant. Pouvoir vivre auprès de lui était une grande chance pour nous, car son contact nous expliquait bien mieux que les livres ce qu’est le bouddhisme. Nous habitions à proximité du temple et nous avons pu profiter chaque jour de ses enseignements. Ces moments passés auprès de lui ont été les plus beaux jours de ma vie. Un soir, alors que nous lui faisions nos adieux avant de retourner en France, il nous dit que nous ne nous reverrions plus et je fis trois prosternations devant lui avant de le quitter, mais je n’étais pas trop triste car il est resté toujours vivant et très présent dans mon cœur.
« Aide-toi et le ciel t’aidera »
Ceux qui ont la foi savent que leur destin est entre les mains de Dieu ou du Bouddha. Ils ne se préoccupent pas trop de l’avenir, ils suivent leur intuition et s’adaptent aux circonstances. Souvent les choses importantes de ma vie sont arrivées de manière mystérieuse, sans que ma volonté soit intervenue. Il s’agit juste de prier avec sérénité pour que notre prière rayonne de joie et de reconnaissance et les Bouddhas envoient des gens généreux qui apportent ce qu’il faut au bon moment. Si on est sincère. On reçoit de l’aide. J’appelle souvent mes maitres et leur demande conseil avant de m’endormir et le matin, j’ai plein de bonnes idées. C’est souvent étonnant ! « Rien n’arrive par accident, les choses arrivent quand le moment est prêt, c’est une illusion de penser tout décider. Pour réussir il suffit de croire en son destin sans se préoccuper trop de l’avenir. Hier est derrière, demain est un mystère, aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on l’appelle le présent ». (Maître Goueï, tortue taoïste, film Kung-fu panda).
Une religieuse chrétienne a fait une prière qui exprime bien le lâcher prise bouddhiste.« Vis le jour d’aujourd’hui, Dieu le donne il est à toi. Vis le en lui. Le jour de demain est à Dieu, il ne t’appartient pas. Ne porte pas sur demain le souci d’aujourd‘hui. Demain est à Dieu, remets le lui. Le moment présent est une frêle passerelle, mais si tu la charges des regrets d’hier et de l’inquiétude de demain, la passerelle cède et tu perds pied. Le passé, Dieu le pardonne, l’avenir, Dieu te le donne. Vis le jour d’aujourd’hui en communion avec lui. »
Yukaï Senseï
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